mercredi 29 avril 2009

Le guerrier de l'antiquité classique


Le premier ouvrage qui ouvre notre nouvelle rubrique "Bibliothèque" n'est pas un livre récent. Il s'agit en effet du "Guerrier de l'antiquité classique - de l'hoplite au légionnaire" de Giovanni Brizzi paru aux éditions du Rocher (coll. L'art de la guerre) en 2004. ça faisait un petit moment qu'il traînait dans ma bibliothèque, sans parvenir à s'imposer au moment du choix. Nanardus m'ayant récemment fait l'éloge d'un récit (auto)biographique romancé d'Hannibal Barca par le même auteur, je me suis enfin décidé à le faire sortir du rang serré des rayonnages.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que je n'ai pas été déçu. D'abord parce dans le traitement d'une problématique assez classique à propos de laquelle les productions sont nombreuses, G. Brizzi cultive l'art du contre-pied. On retrouve certes des éléments déjà développés ailleurs sur l'adéquation entre l'organisation politique des cités-états grecques ou de la république romaine et leur organisation militaire (hoplitique pour les unes, et dans le prolongement, légionnaire pour l'autre), la création de la légion manipulaire par souci d'adaptation aux contraintes géographiques du conflit dans les massifs montagneux d'Italie centrale lors des guerres contres les Samnites ou la reprise des géniales manoeuvres tactiques du maître Hannibal par l'élève Scipion...

Mais G. Brizzi nous apprend également beaucoup (en tout cas, ça a été mon cas;-). Il nous indique en effet que si le modèle de la guerre des Grecs anciens se nourrit à la fois de la brutalité d'Achille et de la ruse d'Ulysse, les guerriers héllénistiques se comportent plus volontiers comme le malicieux héros du cheval de Troie. Il est en tout cas certain que l'éthique de l'hoplite (sens du sacrifice mais surtout discipline et maîtrise de soi) se construit en contradiction avec la furie des héros archaïques. La conception collective de la vie militaire hoplitique est poussée à son paroxysme au sein de la phalange macédonienne que Philippe équipe de la sarisse (pique de 5 à 6 m de long) parce que les paysans qui composent son infanterie sont trop pauvres pour se payer un équipement d'hoplite !

Dans l'exposé qu'il fait du génie militaire d'Hannibal (pour lequel on sent que l'auteur nourrit une véritable admiration), G. Brizzi nous démontre que le chef d'oeuvre tactique du Barcide est peut-être bien la défaite de Zama plutôt que le triomphe de Cannes. Hannibal y aurait démontré en effet son extraordinaire capacité à s'adapter aux urgences du moment et en particulier à contrer les nouvelles manoeuvres de la légion réalisées par le talentueux Scipion.

Enfin, le désastre de Carrhae (en 53 avant J-C, les légions des Crassus père et fils sont décimées par les assauts combinés des archers à cheval et des chevaliers cataphractaires parthes) ne signifie pas pour G. Brizzi une supériorité tactique présumée des armées de cavaliers sur une armée de fantassins devenue obsolète à la fin de la répiublique et sous l'Empire. Les évolutions de l'armement romain (côte de mailles remplacée par la cuirrasse à lamelles "lorica segmentata" et pilum alourdi par une boule de plomb pour pénétrer les armures à écailles) redonnent bientôt un avantage dont sait profiter Trajan qui s'enfonce en Mésopotamie sans rencontrer de véritable résistance, les Parthes évitant systématiquement l'affrontement en bataille rangée. Si les nouvelles conquêtes romaines sont très vite remises en cause, ce n'est pas le fait d'un renversement militaire en faveur des Parthes mais du fait d'un embrasement des communautés juives d'Orient qui, soudées par une résistance résolue à Rome fondée sur un embryon de conscience nationale liée à leur monothéisme incompatible avec le culte impérial, s'engagent dans une véritable guérilla qui va désormais mobiliser l'effort de guerre romain.

On le voit, un grand "petit" livre, très riche dans le contenu et concis dans la forme. Les monographies de batailles (en particulier Zama et Carrhae) sont très réussies et parfaitement équilibrées entre récit détaillé et analyse théorique. Le propos est servi par une argumentation claire. Le recours aux concepts de mentalité et psychologie collective est à mon sens davantage sujet à caution mais l'un des grands mérites de G. Brizzi est de proposer une étude à plusieurs dimensions de l'histoire militaire. Rares sont les ouvrages de cette qualité disponibles en langue française.

En bonus à la fin de chaque chapitre, une bibliographie commentée pour ceux qui ont envie d'aller plus loin. Quant à moi, j'ai rendez-vous cet après-midi chez mon libraire pour me plonger dans "Moi, Hannibal"...

3 commentaires:

  1. J'ai adoré aussi. Notamment sa thèse sur Hannibal à Zama qui est malheureusement invérifiable. Un livre incontournable sur la question.

    Brizzi a enchainé sur une biographie d'Hannibal rédigée à la première personne. Elle a été traduite par Yann Le Bohec. Je ne la retrouve plus, mais je crois me souvenir que le titre était "Moi, Hannibal".

    RépondreSupprimer
  2. Oui c'est cela. Je l'ai lu également avec beaucoup de plaisir.

    RépondreSupprimer
  3. Je vais m'y plonger au plus tôt. D'autant plus que je viens d'acquérir une armée carthaginoise : il faut que je mette dans la peau du personnage ;-)

    RépondreSupprimer